Le Livre d or

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 Le Livre D’or


Retrouvez dans ce livre d’or les avis, témoignages et récits de voyage des cyclotouristes qui ont réalisé le tour de la Lozère cyclotouriste.
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vos avis, témoignages & récits de voyage
Cycloclub de Fabregues
avril-juin 2018

Journal de bord du Tour de Lozère, effectué par le Cycloclub de Fabregues au printemps 2018. Pour le visionner cliquez sur l’icone ci dessous:

Didier – Richard (Yvelines)
août 2017

Merci pour cette magnifique randonnée ! Même si on connaissait déjà bien cette région, ce fut un vrai plaisir de la reparcourir à vélo cet été en cyclo-camping, grace à votre circuit.

Amicalement.

Le 04/09/2017

Frédéric – Janneyrias (Isère)
août 2014
L’idée de départ

 

J’étais déjà parti en cyclo camping, en 2009, le récit de mes aventures précédentes, de Lyon à La Rochelle et retour n’a pas été publié chez Gallimard, mais il existe. Depuis, ma vie professionnelle ne m’avait pas laissé beaucoup de champ libre pour ce genre d’exploit (exploit, c’est ironique, je préviens d’éventuels lecteurs non avertis que je ne me prends pas au sérieux).
Mais cette fois, ma compagne n’ayant pas ses vacances en même temps que moi, je dispose d’une dizaine de jours de désoeuvrement autour du 15 Août. Je décide donc de repartir de la même manière qu’en 2009, avec une tente et un sac de couchage sur un porte-bagages. Cette fois, j’avais comme projet original de traverser le Massif Central pour rejoindre la Méditerranée. J’avais aussi une grande envie de Causses et de plateau de l’Aubrac, dont j’avais gardé des souvenirs de mon enfance, quand mon père m’emmenait marcher («crapahuter», disait-il) au-dessus de la Canourgue, en Lozère donc.
En naviguant sur le Net, je tombe sur une randonnée permanente FFCT qui s’appelle «le tour de la Lozère». Il s’agit de faire le tour du département de la Lozère en 6 étapes, départ et retour à Mende. Mon projet prend ainsi corps, et j’abandonne pour cette fois l’idée de rejoindre la mer, afin de mieux prospecter les routes peu fréquentées de la Lozère, et de grimper enfin au Mont Aigoual. Mon nouvel objectif : Lyon Mende à vélo, Tour de la Lozère, retour.
 
Le matériel
Je ne suis pas fanatique des randonneuses, ni des vélos surchargés de sacoches. Je monte donc sur la tige de selle de mon Cyfac tout carbone un porte-bagages en alu de marque suisse, sur lequel j’embarque une tente Decathlon ultra légère (1,96 kg !), un sac de couchage, un petit matelas gonflable, une serviette de bains, une paire de chaussures bateau, des affaires de toilette et de la pommade à fesses. Dans la sacoche de guidon, j’ai des cartes routières, 3 chambres à air, un dérive chaîne, un peu d’huile de chaîne, 2 attaches rapides, un outil multiple, une petite pince, une lampe de poche et des piles. Et des barres de céréales, mes papiers et 2 cartes de crédit, mon appareil photo, mon téléphone portable, un chargeur solaire.
Dans mon sac à dos, un guide touristique, 2 T-shirts, des vêtements pour le soir dont un pull, des vêtements de rechange pour le vélo, coupe-vent et K-way, un pneu. Ah oui, et mon lecteur MP3. Voilà, tout ça est amplement suffisant, et même trop, pour 8 jours. Le total fait environ 17 kilos. Ils seront durs dans les pentes.
L’itinéraire
Mon idée était de partir de chez moi, Janneyrias, 20 kilomètres à l’est de Lyon, d’aller à Mende, d’effectuer le tour de la Lozère en suivant le plan proposé par le club de Mende et approuvé par la FFCT, et de revenir à vélo. Le total devait frôler les 1 200 kilomètres. En réalité, je n’en ferai que 900. La météo n’étant pas favorable, et le travail me rattrapant hélas jusqu’en Lozère, je devrai me décider à rentrer en train après avoir bouclé ma randonnée. Mais ce n’est déjà pas si mal.
Je le dis tout de suite, tant pis, il n’y aura pas de suspense : j’ai bouclé la randonnée permanente et je suis rentré sain et sauf ensuite en TER. Ca m’a fait pratiquer 2 sports : pendant la randonnée j’ai pédalé, et pendant le retour en TER, j’ai ramé.
1er jour – lundi 11 août 2014 :
Janneyrias – Bron – Saint-Pierre de Bœuf – Bourg Argental – Le Tracol – Tence.
distance : 151 km, dénivelée positive : 1 600 m, moyenne : 19,37 km/h.
Départ à 8 heures après des adieux déchirants à Amélie et à Georges (le chat). Arrêt petit-déjeuner chez Hubert et Arlette qui veulent me faire manger comme si j’attaquais Bordeaux-Paris de nuit une année de famine. C’est bon d’avoir des amis. Je sens qu’il ne faudrait pas pousser beaucoup Hubert pour qu’il saute sur son vélo et m’accompagne. Arlette me ressert une portion d’ananas.
Il bruine. On dirait en Guadeloupe qu’il «fifine». J’arrive à Saint-Symphorien d’Ozon. Et là on dirait comme à Lyon qu’il «flotte grave». Ca commence bien ! J’ai les pieds mouillés, il fait 16°C. Vive l’été! J’attaque la Via Rhôna au sortir de Givors. La pluie s’arrête vers Ampuis. Je double un cyclo qui porte un gros sac sur un porte-bagages pareil au mien, sur un vieux Canondale alu. J’admire au passage les jolies soudures polies à l’ancienne, ce n’était pas encore la mode des gros cordons de soudure bien visibles et bien laids. Le cyclo me rattrape, nous discutons en allemand, car il vient de Hambourg, et a comme objectif de grimper le Tourmalet avant de basculer vers l’Espagne. Ca lui fera 3 000 kilomètres de vélo, avant de rentrer en avion. Nous pédalons de concert sur la Via Rhona jusqu’à Saint Pierre de Bœuf, je le saoûle d’informations inutiles sur le coin, nous jetons en passant un oeil à la tour crénelée de ma maison d’enfance à La Petite Gorge, puis à l’école communale de St Pierre.
En passant, je remarque ces cultures maraîchères «hors plastique», belles comme un tableau de Vasarely. Nous mangeons ensemble une pizza médiocre à Saint-Pierre de Bœuf, c’est lundi, tout est fermé, et nos routes se séparent, il continue jusqu’à Tournon, je grimpe par la D503 vers Maclas et Bourg-Argental, via Lupé et Saint Julien Molin Molette, Saint Julien Meuh Meuh, disait-on dans mon enfance. Ca grimpe, je ressens bien mes 95 kilos inhabituels, et dès que la pente dépasse 4%, j’ai l’impression de tracter un semi-remorque. Je passe le col du Banchet (678 mètres) sous la pluie, et après un petit café sympa à Bourg-Argental, j’attaque les 12 kilomètres de dur sur la D503 jusqu’au Tracol (1030 mètres) qui marque la frontière entre la Loire et la Haute-Loire. Le Tracol est cerné de nuages, mais on voit le soleil plus bas dans les vallées.
J’espère dormir à Montfaucon en Velay, mais il n’y a pas de camping, et je tiens à passer ma première nuit sous la tente. Je pousse donc jusqu’à Tence, où le camping municipal au bord du Lignon m’accueille volontiers. Ma tente est un modèle de Decathlon, très léger, à double toit, séchant vite, mais un peu difficile à monter droit. D’ailleurs le modèle de démonstration dans le magasin était encore plus mal monté que ma propre tente au bord du Lignon.
Après la douche bien chaude et des vêtements civils, je retourne dans Tence City, afin de dîner à l’Epicéa, en face du bâtiment des P et T. Excellent accueil, cadre «classe» sans affèterie, menu à 25 € avec lentilles du Puy au jambon local et pain soufflé à la truite du Lignon. Je découvre une bière recommandable très forte en houblon, la «Vue sur l’Amer» de la micro-brasserie l’Agrivoise du Cheylard (www.lagrivoise.fr). Si vous avez l’occasion d’y goûter…
Retour à la nuit tombante, je suis mort de sommeil, le bruissement du Lignon m’endort vite. Demain : Mende !
2ème jour – mardi 12 août 2014 :
Tence – Fay sur Lignon – Le Monastier sur Gazeille – Langogne – Mende.
distance : 138 km, dénivelée positive : 2 040 m, moyenne : 18,94 km/h.

 

J’ai tellement bien dormi bercé par le Lignon que je ne me lève qu’à 07h30. Il me faut une heure pour ranger, plier la tente, charger le vélo et retourner à Tence pour y prendre mon petit déjeuner. Départ vers 09 h 00 direction plein sud. Je prends sur Fay sur Lignon, puis la D500 vers le Monastier sur Gazeille, où j’ai une pensée pour Stevenson qui démarra là son voyage à travers les Cévennes avec un âne. Les routes sont splendides, le trafic automobile supportable. C’est sans doute dû à la saison, je n’y connais rien, mais les prés sont souvent peuplés de juments avec leurs poulains, c’est un spectacle attendrissant. Les odeurs de foin, de genêts, de pins, de fleurs sont délicieuses, et bien différentes des odeurs alpines que nous avons rencontrées avec Hubert et Daniel il y a un mois dans les Alpes.
On est presque à 1 300 mètres d’altitude, je longe (sur ma gauche) le Mezenc puis le Mont Gerbier des Joncs. Il fait assez beau pour que mes chaussettes de la veille sèchent sur le porte-bagages. Après le Monastier, je passe à côté du viaduc de la Recoumène, qui devait à l’origine servir la ligne de chemin de fer Transcévenole du Puy à Aubenas. Ce viaduc est praticable à pied ou à vélo, mais attention ! il n’y a pas de rambarde, c’est inhabituel dans notre beau pays qui pratique à outrance le principe de précaution. Vertige garanti ! J’en profite donc hélas pour perdre ma pile de rechange d’appareil photos, l’art et la manière de gaspiller 30 euros…
Peu après Salettes, toujours sur la D500, la fringale devient a préoccupation croissante. Je tape dans les barres de céréales, mais mon plaisir est grand de traverser la Loire, encore bien modeste puisqu’elle vient de naître environ 20 kilomètres plus haut. Je trouve enfin une auberge campagnarde avenante. J’y suis bien reçu, c’est l’auberge Illa Fara, agréée FFCT, à Souchon, 43490 La Farre.
Un groupe de trente amis en provenance du Gard et des Bouches du Rhône, bruyants et fortement anisés, me fait frémir à l’idée qu’ils vont peut-être me doubler tout-à-l’heuredans un virage étroit de la D500. Je déjeune pour 10,50 € de poulet de ferme rôti, frites maison, salade et crème brûlée. La terrasse donne sur une gorge, une petite rivière affluent de la Loire.
Après le repas, je serais volontiers partant pour une petite sieste dans l’herbe. Mais il bruine de nouveau, l’herbe est mouillée, alors je roule. Ca monte sans arrêt, je me traîne, ça me déprime, je n’ai pas encore pris le rythme du randonneur. J’envisage de m’arrêter, tant pis pour le planning, et de dormir à Langogne. Mais je double successivement 3 couples en randonneuses, bien plus lents que moi. Le premier vient de Karlsruhe en Allemagne, le second du Danemark, le troisième de Rotterdam. Je discute avec les trois, et finalement reprends le moral et les ailes qui vont avec. Arrivé à Langogne, je décide donc de continuer jusqu’à Mende.
Et j’ai bien raison, car il ne reste que 50 kilomètres de Nationale 88 certes dangereuse et désagréable, mais large et relativement peu fréquentée en ce mois d’Août. Ca monte tranquillement entre 1 et 5 % jusqu’au col de la Pierre Plantée (1264 mètres), et la suite n’est qu’une longue descente vers Mende.
La préfecture de la Lozère n’a que 12 000 habitants (16 000 avec la «banlieue»), et pour être franc, même si l’on n’y trouve pas les cités suburbaines de nos grandes villes, ça ne transpire pas la grande richesse. C’est calme, plus provincial que la province la plus calme. Un jeune couple m’indique le camping. Ma tente est vite et cette fois bien installée, la douche est bien chaude, je m’y prélasse un peu, je me rase, je prends et donne des nouvelles à la famille et aux amis, et je file au resto le plus proche. Je m’octroie un grand menu pour toutes sortes d’excellentes raisons : j’ai faim, je l’ai bien mérité et je brûle 4 000 calories par jour. Demain j’attaque le Tour de la Lozère proprement dit, et j’ai besoin de forces. Bonne nuit !
3ème jour – mercredi 13 août 2014 :
jour 1 du tour de la Lozère : Mende – Badaroux – col de la Tourette – Bagnols les Bains – col des Tribes – Villefort – La Garde Guerin – Prévenchères – col du Thort – Luc – Langogne.
distance : 110 km, dénivelée positive : 1 348 m, moyenne : 18 km/h.
La nuit n’a pas été bonne. Un ronfleur voisin, en provenance d’Ille et Vilaine me rappelle que j’ai oublié mes boules Quies. Dans la nuit, l’orage commence, et atteint son apogée vers 6 heures du matin.
Des branches tombent, des piquets s’arrachent. Dans l’angoisse de la nuit, je me demande s’il ne vaudrait pas mieux abandonner. Mais Meteo France sur mon Blackberry me rassure : la pluie s’arrêtera à 9 heures. J’ai confiance, et j’ai raison : car des éclaircies apparaitront vite. Mais je commence ma randonnée dans l’humidité et le froid. Je prends un café sur la place du foirail, face au syndicat d’initiative où l’on me tamponne ma feuille de route.
Puis je reprends en sens inverse le chemin de la veille : Badaroux, col de la Tourette par la N88. Bifurcation enfin à droite le long de la vallée du Lot (car Mende est sur le Lot, eh oui !) en direction de Bagnols les Bains. Je m’y arrête pour acheter des boules Quiès et des pansements pour ampoules mal placées. Hubert m’a bien conseillé : j’ai enfilé 2 cuissards l’un sur l’autre, et durant cette randonnée je n’aurai pas mes habituelles douleurs au niveau des ischions. Par contre, j’ai des ampoules, que je n’ai pas d’habitude. L’être humain est donc né pour souffrir sur cette terre ! Le pharmacien est sympa, et de bon conseil. Il évite les remarques bruyantes du genre : «eh, Monique, passe un tube depommade Duschmoll pour monsieur qui a des ampoules aux fesses !» Bagnols est une station thermale. Il ne fait pas chaud ce matin, autour de 14°C, dommage, ça ne donne pas envie de se baigner. On passe ensuite en vue du château du Tournel. Puis le Bleymard où nous retournerons le dernier jour de la rando, et l’on monte sans difficulté notable, et même dans une certaine euphorie, jusqu’au col des Tribes
La descente en pente douce de la D901 devient un enchantement quand on aperçoit le sublime château (privé) du Champ, où sans doute quelque princesse de conte de fées fut réveillée d’un long sommeil par un baiser, il y a 500 ans. On poursuit cette route enchantée par le château du Castanet qui a les pieds dans les eaux du barrage et lac de Villefort. Il a d’ailleurs failli être englouti, et épargné de justesse, à la mise en eau du barrage sur l’Altier en 1965. Pendant mon déjeuner au soleil en terrasse à Villefort, une saute de vent soudaine jette mon vélo par terre. Le compteur sort de son support et explose au sol. Plus de compteur, ça va m’être difficile. Non qu’il m’importe de mesurer mes piètres performances, mais j’aime savoir combien il me reste de pente ou de kilomètres afin d’organiser mon rythme et mes pauses, et gérer mon effort. Je connais alors bêtement un moment d’affolement, puis je me calme. Je roulerai au feeling jusqu’à nouvel ordre. Et il faut reconnaître que les fiches de la randonnée permanente, concoctées par le club FFCT de Mende, sont excellentes, précises et justes. J’apprécie particulièrement les profils de pente !
La remontée sur la D906 me fait oublier les soucis techniques. Ca grimpe dur, mais la vue d’un côté sur le lac artificiel et de l’autre sur les gorges du Chassezac est incroyable. Je n’ai guère de talents de photographe, mais tout de même : un petit détour pour visiter la Garde Guérin s’impose, avec sa tour de guet (un conseil : monter pieds nus mais pas avec les chaussures à cales Look) et ses rues pavées, puis le petit bout de voie verte au-dessus des gorges du Chassezac, d’où montent depuis tout en bas les cris de joie ou de peur des adeptes de canyoning.
A Prévenchères, je photographie le tilleul planté (paraît-il) sous Sully. Le pauvre n’est pas en très bon état, je parle de l’arbre, de Sully je ne me souviens que de «labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France», à l’école primaire le mot «mamelles» me faisait rougir. Le col du Thort n’est qu’une formalité, on redescend ensuite sur Luc et son château, je jette un œil à la curieuse église à étage et j’arrive à Langogne et à ses célèbres halles, qui à mon avis un peu chauvin sont loin de valoir celles de Crémieu. Comme mes affaires sont humides depuis l’orage du matin, je décide de prendre une chambre à l’hôtel de la Poste. On m’envoie à l’annexe, ce qui tombe bien car je peux bien y caser mon vélo et y faire sécher tente et sac de couchage.
J’y dîne également, de fort belle manière de tête de veau en entrée, et de truite en plat de résistance. La salle est décorée de façon amusante, avec des brocanteries bizarres et inhabituelles, dont de vieux vélos pendus au plafond. Je découvre le Kir à la liqueur de châtaignes, et c’est fichtrement bon. L’humeur est au beau fixe, je rentre soigner mes ampoules et dormir. Car demain il fera jour, et j’irai au Malzieu-Ville ! Demain, à moi la route sans compteur.
4ème jour – jeudi 14 août 2014 :
jour 2 du tour de la Lozère : Langogne – Naussac – Laval-Atger – Grandrieu – Le Cheyla d’Ance – col de la Barthe – Sainte-Eulalie – Saint-Chély d’Apcher – Le Malzieu Ville.
distance : 90 km, dénivelée positive : 1 500 m, moyenne : 16 km/h.
Contrairement à ce que je pensais, la nuit à l’hôtel n’a fait aucun bien à mes jambes qui sont bien raides ce matin. Je passe au syndicat d’initiative à côté des halles pour y faire tamponner mon avis de passage, puis je zigzague un peu à travers Langogne avant de prendre bien évidemment la mauvaise route, au sud du lac de Naussac au lieu de prendre au nord. Mais tous les chemins mènent à Auroux et Grandrieu, je rattrape donc l’itinéraire…et oublie de pointer à Grandrieu : ce n’est pas mon jour.
La route de la vallée de Chapeauroux est délicieuse, les pentes sont raisonnables. Je m’arrête à la superbe chapelle de Saint Méen : une jeune fille en VTT m’explique que les chiffons accrochés au bord de la fontaine sont autant de vœux pour que Saint Méen guérisse les croyants. Il convient de tremper un bout de foulard dans une résurgence de la fontaine, et ensuite de prier très fort, pour être guéri de tout un tas de maladies, mais surtout de l’eczéma et autres maladies de peau. J’y crois volontiers, mais je n’ai guère envie de tremper moi aussi mes doigts là où des milliers d’eczémateux ont trempé leurs linges. La chapelle est ouverte, sa voûte romane est très belle, et le registre dans lequel les visiteurs ont inscrit leurs vœux est attendrissant. La Margeride est une région magnifique entre 1 000 et 1 500 mètres d’altitude. On est parfois dans les pins, mais le plus souvent dans les pâturages, et l’on y rencontre mes animaux préférés : je suis survolé par mes deux premiers vautours, ce ne sont pas les plus grands. Un type que je vais rencontrer sous peu me dira : ce sont des vautours percnoptères (http://fr.wikipedia.org/wiki/Percnoptère). Comme il fait faim et qu’il n’y a pas grand-chose en vue, je m’arrête au Cheyla d’Ance chez Robert et Huguette, auberge de campagne.
Bien sûr, c’est complet : tout un groupe de Nîmois sympathiques s’anise fortement en attendant l’omelette aux cèpes. Je négocie tout de même une salade et une assiette de charcuterie avec beaucoup de pain, un demi de bière et une cruche d’eau fraîche, et je mange en terrasse, car il y a un rayon de soleil. Les deux petites-filles des propriétaires, de 9 ou 10 ans, me servent, et comme je demande à l’aînée (est-ce Delphine ou bien Marinette ?) si la charcuterie est locale, elle me répond avec l’accent que la charcuterie est bien d’ici,  » puisqu’on a tué le cochon « . Ca fait plaisir à entendre. Pour ces agapes, on me réclame 8 euros€. J’en laisse volontiers 10, avec 1 € pour Delphine, et 1 € pour Marinette. Avant de repartir, un convive nîmois me parle des vautours. Il m’explique que je verrai sans doute aussi des milans, qui est, dit-il, le seul oiseau de proie à la queue en éventail.
Je veux bien le croire, et repars joyeux vers le col de la Barthe, à proximité d’un élevage de bisons d’Europe. Le compteur me manque, mais je subodore du 10 % en paliers successifs jusqu’au col. Mes jambes me font prendre conscience des 230 mètres de dénivelé franchis en trop peu de kilomètres à mon goût. Mais heureusement, la petite route neuve parfaitement goudronnée sous les pins et les châtaigniers, qui laissent parfois apercevoir quelques pâturages de vaches d’Aubrac, sous le vol de milans que je sais reconnaître maintenant, me console et me fait supporter mes douleurs. La Margeride, c’est de la nature pure. On a envie de s’asseoir là, au bord d’un pré ondulant à perte de vue, entre digitales et bruyères, pour regarder des heures durant planer le milan.
Je décide de zapper le prochain col, col de Montruffet, et après ma pause menthe à l’eau et discussion avec un cycliste à remorque d’équilibriste à Saint-Alban sur Limagnole, je pars vers Saint-Chély d’Apcher. Il y a là-bas le seul vélociste à 100 kilomètres à la ronde, et je veux y trouver un nouveau compteur avant l’heure de fermeture. En route, je croise la bestiole ci-dessous, pas trop effarouchée par mon équipage, tant elle est occupée à se goinfrer de trèfles en fleurs :
Pour mémoire, la Margeride, c’est à peu près ça, entre sapins et pâturages. Je trouve un compteur chez Passion Vélo à Saint-Chély. Passionné, il faut l’être, car j’y laisse une petite fortune, mais c’est ainsi et quand on aime…Le patron est sympa, un peu débordé, demain c’est le 15 août, les VTTistes ont tous besoin d’une nouvelle cassette ou d’un pneu avant le week-end, des parisiens louent des VTC, ils n’ont pas l’air d’être très dégourdis, et refusent le casque par peur d’être décoiffés sans doute. Pourtant, il me semble que si quelqu’un a besoin d’un casque, c’est bien eux.
Ma prochaine ville étape est le Malzieu Ville, une dizaine de kilomètres plus loin. La tente est vite installée au cCamping de la Piscine, un rayon de soleil vient réchauffer mes vieilles tendinites. La douche est brûlante, c’est un délice. Je monte tranquillement mon compteur…qui ne marche pas. Alors qu’il a été testé dans la boutique. J’enrage. Passion Vélo est évidemment fermé jusqu’à samedi matin. Pour me calmer, je décide de m’offrir une bonne table. Et là, évidemment : «c’est complet». Je me tourne vers un bar pizza pas terrible, mais finalement sympathique. En sortant, il pleut fort. J’attends la fin de l’averse sur la terrasse en discutant avec un groupe de jeunes plus ou moins du coin. La jeunesse est partout un peu la même, j’ai l’impression d’entendre mes filles et leurs amis, ils sont gentils, un peu partagés entre ironie («c’est qui ce vieux avec son vélo ? On va se moquer un peu de lui») et admiration un peu naïve («non mais c’est dingue ce qu’il fait, et en plus il est même pas obligé, et il est vieux comme papa»). Je suis ravi de me glisser enfin dans mon duvet, d’autant qu’il pleuvote dehors. Demain, troisième étape de la rando : de la Margeride vers l’Aubrac
5ème jour – vendredi 15 août 2014 :
jour 3 du tour de la Lozère : Le Malzieu-Ville – gorges de la Truyère – Albaret-Sainte-Marie – Fournels – Nasbinals – col de Bonnecombe – col du Trébatut – Saint-Germain du Teil – Banassac.
distance : 110 km, dénivelée positive : 1 550 m, moyenne : 16 km/h (estimation).
Je me réveille tard au bruit de la pluie battant ma tente. Tout est trempé, j’ai les jambes dures, ce n’est pas la joie. Je file tout de même à la boulangerie puis au café dans Malzieu centre, qui est une adorable et très pittoresque petite ville fortifiée au bord de la Truyère, en plein Gévaudan. D’ailleurs, à l’entrée, une sculpture nous rappelle l’histoire de la bête.
Je quitte le pays avec mes jambes raides et je suis dans le dur dès les premiers kilomètres. Comme presque tous les matins, j’ai envie d’abandonner, je rêve des sièges en cuir si confortables de ma voiture. Chauffants, en plus, les sièges, et là, ce ne serait pas du luxe. Heureusement, il y a un rayon de soleil dans les gorges de la Truyère, et une discussion brève avec un pêcheur de truites amoureux de cette rivière me rassérène quelque peu. On n’est pas loin du viaduc de Garabit, mais ce n’est pas sur ma feuille de route, soyons disciplinés, exceptionnellement. Et aussi parce qu’on a mal aux jambes, on se calme.
La montée vers Albaret Sainte Marie me parait sévère. Mais arrivé au centre du charmant petit village, je suis arrêté par un groupe de gens qui ont tous un verre à la main. Ils m’expliquent que la tradition du village est d’assister tous ensemble, gens du coin, touristes réguliers et «expatriés» de retour au pays, à la messe du 15 Août et de prendre ensuite l’apéritif dehors, sur le parvis. Ils m’offrent des cacahouètes et un Orangina. Une jeune femme m’explique que les clochers si typiques de la région sont des «clochers-peignes» ou «clochers à peigne», et ça dit bien ce que ça veut dire, voici l’église d’Albaret Sainte-Marie.
Par la suite, je suis de nouveau confronté au «c’est complet» dans tous les restaurants, auberges, estaminets, tavernes, et bistrots ; c’est le 15 Août, et la tradition du repas de 15 Août en famille et entre amis est ici vivace. On passe sous l’autoroute A75, et il y a un Mac Donalds accessible, mais mon goût de l’aventure n’ira pas jusque- là. Je pousse donc vers Arcomie, puis le Bacon, et ça grimpouille quand même, surtout pour des jambes dures et un ventre creux, sur la D70. Heureusement, à Le Bacon (ou bien doit-on dire «au Bacon» ?), le bien nommé, je trouve un restaurant presque vide, et j’y déjeune fort bien d’un coq au vin. Je sais, ça ne semble pas très sportif comme repas de midi, mais au point où j’en suis… Et j’ai eu bien raison, parce que je monte de plus en plus facilement vers Fournels (café et tampon sur la feuille de contrôle) puis en direction de Nasbinals.
Je bascule donc de la Margeride vers l’Aubrac, après avoir traversé la région des Monts Verts, qui sont à la fois une commune et une route touristique de Lozère. Ca va tellement mieux qu’à 1150 mètres d’altitude, sur le plateau bosselé de l’Aubrac qui se désertifie de plus en plus, je rattrape sans peine un cycliste seul et non chargé de tente et sac à dos, et nous roulons ensemble une quinzaine de kilomètres en devisant agréablement. Il s’agit de Didier Doucet, un écrivain haut fonctionnaire et cyclo sportif qui fait actuellement la promotion de son livre dans la région : «3 Points c’est tout». Je promets d’acheter son bouquin à l’occasion et de lui réclamer une dédicace. Mais trouverai-je le temps à mon retour ? Il me laisse un prospectus.
Juste avant Nasbinals, nos chemins se séparent au bord du Bès, dans un décor idyllique. Nasbinals est une petite bourgade très animée. Il semble que ce soit un endroit très fréquenté par les férus d’équitation. Et c’est surtout un lieu de passage incontournable pour les marcheurs vers Compostelle. J’ai lu qu’il y passait 40 000 pèlerins ou randonneurs par an. Il y a une ambiance joyeuse. J’en sors tout ragaillardi.
Et peu après la sortie, le ciel se déchire, j’arrive sur le paysage de carte postale que l’on connaît, l’Aubrac dans sa solitude splendide. Il y a chez tous les cyclistes des moments d’enchantement, qu’on aime décrire ou qu’on tait soigneusement, qu’on partage ou qu’on garde pour soi. Pour ma part, cette vision des pierres folles semées là par quelque géant fou, ces «lacs», ces vaches brunes au regard si doux, et ce ciel déchirant tellement plus présent qu’ailleurs…tout m’enchante, j’ai envie de m’arrêter là. Du reste, il y a peu de monde sur cet immense plateau. Je prends quelques photos, qui ne sauront pas rendre l’impression d’immensité qu’on a là-bas, à voir serpenter au loin la route qui nous mènera tout-à-l’heure au col de Bonnecombe (http://fr.wikipedia.org/wiki/Col_de_Bonnecombe).
Au col de Bonnecombe, je répugne à descendre trop vite vers le col de Trébatut et Saint Germain du Teil. Je veux encore respirer ce plateau presque désert et sa douce sauvagerie (oui, je sais, c’est un oxymore). Des ânes, accompagnés de randonneurs, mangent leur avoine, tandis que leurs esclaves préparent leurs tentes pour la nuit à côté de l’auberge où je prends un demi en regardant encore et encore autour de moi. Mes voisins de table me voient enfiler mon coupe-vent de l’Ardéchoise et un homme se met à discuter avec moi de ma randonnée et de ses propres exploits passés. Il vient de Corrèze, et comme beaucoup de cyclos rencontrés sur ma route, il est un peu envieux de ma liberté, de ces quelques jours hors du temps. Je le sens songeur, prêt à partir aussi. C’est ainsi : certains randonneurs sont entourés des mules, et moi d’émules (ça, ce n’est pas un oxymore, c’est un à-peu-près…)
Je redescends sur le col de Trébatut. L’arrivée à Saint Germain du Teil ne m’inspire guère : il n’y a qu’un gîte, qui est déjà occupé. Je décide donc de descendre jusqu’à Banassac, au pied de la Canourgue qui est devenu, depuis mon enfance, bien plus touristique, et qui propose des campings, des hôtels et des restaurants.
Je m’installe pour la nuit au premier camping. Les emplacements sont vastes, plats et herbeux. Les douches y sont bien chaudes. Je suis accueilli par une famille très sympathique, mais qui me rappelle furieusement la famille Groseille de «La Vie est un Long Fleuve Tranquille». La patronne très enrobée ne s’arrête de fumer que pour respirer à l’aide de sa machine à oxygène. Les gamins sont éparpillés partout, et personne ne semble se préoccuper de les coucher. Je suis gentiment reçu, très vite considéré comme un membre de la famille, et je mange parmi eux un steak haché frites roboratif; on m’offre même de la salade de fruits maison.
Je me glisse ensuite dans mon sac de couchage, bien éloigné des autres campeurs. Demain les Gorges !
6ème jour – samedi 15 août 2014 :
jour 4 du tour de la Lozère : La Canourgue – Le Sabot de Malpeyre – Le Point Sublime – Les Vignes – gorges du Tarn – Le Rozier – gorges de la Jonte – Meyrueis.
distance : 67 km, dénivelée positive : 1 100 m, moyenne : 16,5 km/h.
Enfin un départ sans pluie. La tente est à peu près sèche. Je monte à la Canourgue prendre mon petit déjeuner chez Mirmand. Des bouffées de souvenirs d’enfance me reviennent. C’est là que nous «descendions» avec mes parents quand j’avais huit, dix ou douze ans. L’hôtel a bien changé ! il a pris un style  » années 80  » qui a vieilli plus vite que les pierres anciennes de mon enfance. J’appelle le vélociste de Saint-Chély. Il ne peut guère m’aider. Finalement je trouve la solution tout seul, et le compteur fonctionne. Pendant que je finis de l’installer, un gars vient discuter. Il s’appelle Patrick, il vient de Haute Savoie, il travaille chez un de mes clients, le monde est petit, tout ça tout ça… Il est passionné de VTT et de Lozère, il a épousé une lozérienne, il me donne de précieux conseils et m’offre un deuxième café. Un type sympa, ouvert et chaleureux, j’irai le voir lors de ma prochaine tournée professionnelle en vallée d’Arve.
Sur son impulsion, et dans l’euphorie d’avoir retrouvé un compteur qui marche, je dévie un peu du parcours de la randonnée afin de retrouver le sabot de Malpeyre, puis le Point Sublime. Ca ne monte pas trop dur, il fait beau, je suis heureux. Je revois le sabot : sous le sabot, un jeune homme photographie sa chérie. Je leur crie de se dépêcher avant que le sabot tombe. C’est stupide mais ça les fait rire. Il fait beau, vous dis-je, ils sont amoureux et donc indulgents !
En route, je tombe sur un collègue à longues oreilles. Je m’arrête pour le prendre en photo, juste avant il essayait d’attraper les branches basses d’un poirier. Un gamin me regarde photographier l’âne et me demande si ce n’est pas trop dur «avec tous ces bagages». Je rassure le gamin, je photographie l’âne. Et il fait toujours beau. Puis, de route jolie en route charmante, en douce montée, j’arrive au Point Sublime, et ça donne ça : Et ça aussi : C’est beau, c’est haut, on se croit sur un autre continent, et ben non ! on est chez nous, en France, en Lozère. A la force du mollet en plus, ce qui n’enlève rien au plaisir, bien au contraire. Ce sont les Gorges du Tarn.
A hauteur des Vignes, je redescends sur le Tarn. C’est raide. Je déjeune aux Vignes d’un civet de porcelet du Gévaudan. Je me suis rendu compte ces derniers jours que le régime alimentaire du cyclotouriste pouvait être parfois un peu…Inhabituel. Le parcours suit la descente du Tarn jusqu’au Rozier. Ce n’est pas la plus intéressante partie des Gorges du Tarn, mais c’est tout de même charmant sous le soleil pâle. Au Rozier, on remonte les gorges de la Jonte par la D996, et le soleil me paraît plus chaud, la pente douce et le porcelet du Gévaudan me font un peu transpirer. Ca redevient sauvage. Les motards roulent moins vite et s’arrêtent. On regarde «en dessous», on est un peu étonné d’être là, tout petits dans cette nature si sauvage et si belle.
Au Truel, le belvédère des vautours est incroyable. On voit tournoyer des dizaines de rapaces très haut au-dessus des Gorges. Un homme âgé m’entreprend. On parle d’abord vélo, puis vautours. C’est un passionné, retraité de l’EDF, natif du village proche, et ayant passé 17 ans de sa carrière à La Défense, à Paris. Vous imaginez le dépaysement…
Les vautours (http://vautours-lozere.com/) sont des animaux fascinants, et leur réinsertion dans les gorges de la Jonte sont une histoire passionnante. Vous pourrez en savoir plus, soit en cliquant sur le site ci-dessous, soit en m’invitant à boire un verre. Ou mieux, en y allant vous-mêmes ! Les Gorges de la Jonte, ce sont aussi d’étranges sculptures naturelles de granit posées là par des géants ivres, et patinées par des millénaires de vent, de gel, de chaleur et de pluies.
Mes jambes sont restées dures aujourd’hui, c’est pourquoi je suis bien content d’abréger mon parcours à Meyrueis. Le village est beau, et il y a un monde fou, il y a une fête, et des centaines de randonneurs sont présents. Je trouve un emplacement tranquille au fond du camping, vite rejoint, hélas, par un couple bizarre de randonneurs, un de ces couples improbables, lui vieux, gros, visiblement peu à l’aise, et elle plus jeune, sportive…Ils collent leurs deux tentes près de la mienne, alors qu’il y a plein d’espace plus loin. Une vélo randonneuse solitaire en provenance de Bagnols sur Cèze me repère vite, et nous buvons ensemble une excellente bière de la Jonte, en échangeant nos expériences de la route et des bagages à emporter.
Puis je pars dîner «en ville». Il fait froid, et pour me réchauffer, je m’octroie un kir à la châtaigne (et oui, je deviens accro) suivi d’une demi-bouteille de vin rouge pour accompagner une tête de veau (le serveur m’ayant déconseillé la truite de la Jonte : «bof, vous savez, y a longtemps qu’elles ne viennent plus de la Jonte, les truites»), une terrine aux cèpes, un pain perdu. Bref, j’ai quand même exagéré, ce coup là, surtout après seulement 67 kilomètres ! même pas l’excuse du travail de force, ni des pentes immenses, ni des kilomètres de forçat…Soyons francs, j’ai juste été gourmand. Je zigzague quelque peu jusqu’à ma tente. Je range un peu, demain sera un jour redoutable mais attendu : le Mont Aigoual ! Bonne nuit.
7ème jour – dimanche 16 août 2014 :
jour 5 du tour de la Lozère : Meyrueis – col de Parjuret – Cabrillac- mont Aigoual – corniche des Cévennes – col de Solperiere – L’Hospitalet – col des Faisses – Barre des Cévennes – Saint Etienne Vallée Française.
distance : 102 km, dénivelée positive : 1 636 m, moyenne : 16 km/h.
Il a fait un froid terrible dans la nuit, seulement +5°C. Il faut dire que Meyrueis est déjà à 720 mètres d’altitude, j’ai dû dormir habillé. Je ne me réveille pourtant qu’à 9 heures, le camping est paralysé de fraîcheur. J’entends mes bizarres voisins randonneurs se plaindre en langue allemande du froid, et de…mes ronflements. La tête de veau, le kir à la châtaigne, tout ça a fait son effet. J’ai honte, je plie ma tente en vitesse et je m’enfuie. Bon, finalement, moi, au moins, malgré le froid, j’ai dormi. En plus, je ne leur avais pas demandé de se coller à ma tente, le camping était vide. Et bizarrement, je n’ai plus de douleurs aux jambes.
Meyrueis est animée et bien jolie sous le soleil matinal. Il y a un vide-grenier sympathique. Je prends à la boulangerie 2 croissants et un sandwich pour midi, plus question d’excès de table ! je déguste un énorme café au soleil, j’emplis à la fontaine mes bidons pour la journée…
Enfin, le Mont Aigoual ! Et bien entendu, je me trompe de route. Je monte par le col de Perjuret et Cabrillac, face nord, ce qui n’est pas forcément le plus simple. J’enrage car je rate des cols, mais finalement il y en a d’autres, col de Fourques, Plo du Four, alors ce n’est pas si grave. Au col de Perjuret, je retrouve ma randonneuse de Bagnols qui rentre doucement chez elle. Nous nous saluons comme de vieux routards, et ensuite, ça commence à monter vraiment mais franchement, j’en ai un souvenir de cuisses très agréable, rien de trop dur. La vue, les passages sous les sapins, l’approche, tout est bon.
Comment décrire l’arrivée au Mont Aigoual , la jouissance d’arriver à un sommet mythique pas encore franchi par mes roues, une nouvelle victoire, et ce paysage inouï ? Il me semble bien deviner la ligne d’horizon de la Méditerranée, et autour de moi, à perte de vue, des monts déserts, les Cévennes, comme des vagues immobilisées. Etre en haut du Mont Aigoual est une énorme satisfaction de cyclo, partagée par d’autres fanatiques de la petite reine et des ascensions, comme le Hollandais roulant qui a bien voulu me prendre en photo.
Je reprends l’itinéraire de la randonnée permanente, qui me fait descendre le long de la charmante vallée du Tarnon. Descente redoutable, puisqu’elle sera suivie à l’entrée de Salgas et Recoules vers la droite d’une montée dantesque sur la corniche des Cévennes.
La Montée dite «la Cardinale» est copieusement arrosée de gravillons, la DDE locale a dû avoir un prix de gros, ça dérape sec, ça cuit les jambes, il y a des pointes adorables à 14 %. On arrive enfin au col de Solperiere. Je suis en pleine forme, je fais un petit détour par le col de Faïsses (et hop, un de plus), et je file vers le Pompidou, si si, c’est comme ça que le pays se nomme, ça fleure bon mon enfance de nouveau !
Tiens, des ponts de pierre comme celui-ci, j’en ai traversé des dizaines. Gare à ne pas croiser un trente tonnes ! Nous sommes dans le parc des Cévennes, je me régale les yeux de bruyères en fleurs et de plateaux déserts aux erratiques sculptures de pierres.
Seulement voilà, il y a une course de côte à l’Hospitalet, ça vrombit dans la vallée, la route est fermée, même aux cyclos tranquilles comme moi. J’attends tout en haut, entouré d’agriculteurs locaux en 4X4 Toyota, venus voir ces imbéciles de la ville brûler de l’essence sur leurs routes et faire peur aux vaches dans leurs vallées.
Je surmonte ma timidité légendaire et discute avec l’un deux, qui m’annonce «qu’il y en a pour un moment de leurs conneries», et me propose de me redéposer vers Barre des Cévennes, ce qui me permettra de descendre en douceur vers Saint-Etienne Vallée Française, qui est mon objectif pour le soir.
C’est sympa de sa part, je pose le vélo sur le Pick-up, et nous voilà partis. En route, je repasse donc le col de Faïsses et j’oblige mon paysan à s’arrêter car je découvre le col du Rey, et je préfère le passer à vélo afin de l’ajouter à ma liste. Finalement, ce sera une sacrée bonne journée de cols.
La vallée Française, en occitan «Francesca», est l’ancienne frontière entre les Francs et les Wisigoths. Le nom est resté. C’est aujourd’hui plus calme qu’alors, les wisigoths roulent en camping-car, les francs se sentent dévalués et regardent leurs villages se vider inexorablement. Pourtant, comme le chantait l’ardéchois, que la montagne est belle : la pente est douce, ça pédalote à trente à l’heure (bon, vous avez eu droit à un oxymore et à un à-peu-près, et maintenant je vous offre un néologisme) c’est plein sud et ça sent donc le midi et le thym. On est près de la frontière avec le Gard, il y a des cigales, ça descend inexorablement, demain ça remontera.
Je plante ma tente à Saint-Etienne Vallée Française. Le soir, je pars au village à pied pour y dîner dans le seul restaurant ouvert. C’est pittoresque, le cadre est joli, mais j’attends 1 h 30 pour être servi, ce qui semble n’étonner personne ici. Heureusement, le temps passe vite, car il y a à côté de moi une tablée de jeunes normands sympathiques qui ont l’âge de mes filles, et qui se trouvent être mes voisins de camping. Nous plaisantons ensemble et buvons bien des cruchons de rosé.
Je rentre sous un ciel étoilé incroyable, un vrai ciel d’août du sud, quand l’expression «se sentir tout petit» prend tout son sens. Et, cette fois sans ronflements, je m’endors en pensant à ma dernière étape demain : le Mont Lozère. Bonne nuit.
8ème jour – lundi 17 août 2014 :
jour 6 et dernier du tour de la Lozère : Saint-Etienne VF – col de Jalcreste – col de Malpertus – col de la Croix de Berthel – Le Pont de Montvert – col de Finiels (mont Lozère) – Le Bleymard – Mende.
distance : 115 km, dénivelée positive : 2 261 m, moyenne : 15,4 km/h.
Je pars seulement vers 9 h 30, et encore je suis le premier levé du camping. La fraîcheur nous colle au duvet. J’achète mes croissants et un café, et je découvre à l’épicerie les plaisirs du mélange «sucré-salé» de Seeberger, idéal pour les cyclistes et les marathoniens.
J’attaque en douceur le premier col, redémarrant de moins de 300 mètres d’altitude pour monter à 800 le col de Jalcreste par la D984.
On est en plein dans les Cévennes, sous les châtaigniers, les maisons sont en pierres, on se prend à se demander comment ils étaient ravitaillés, avant les hélicoptères et les routes goudronnées. Je déjeune rapidement et frugalement au col de Jalcreste, et redescends ensuite peu la D29 vers Saint Frezal de Ventalon. Je m’imagine rencontrer Frezal de Ventalon. «Bonjour, comment vous appelez-vous ? Frezal. Frezal de Ventalon . Et vous ? Moi, c’est Fred. De l’ASCEM . Vous faites quoi dans la vie ? Moi je suis saint, et vous ? Moi je pédale».
Bon, on redescend bien trop, et après on remonte, et il commence à faire chaud sur la D998 en direction de Pont de Montvert via la route des Crêtes, via les cols de la Baraquette, Malpertus et Croix de Berthel (1 088 mètres). Ca monte, ça descend, heureusement que c’est joli, mais ça fatigue. Je me surprends à en avoir assez sur les derniers kilomètres. D’autant plus que je sais que la partie suivante ne sera pas de tout repos : le Mont Lozère lui-même ! Le paysage cévenol vaut le détour, pourtant.
L’itinéraire m’emmène ensuite en descente vers le Pont de Montvert. C’est très joli il y a beaucoup de pratiquants du canyoning dans la région, j’ai oublié le nom de la rivière, vous n’avez qu’à prendre une carte. Au Pont de Montvert, je pointe au contrôle et je bois une menthe à l’eau. Il fait chaud sans excès. J’attaque la route du Mont Lozère et du col de Finiels avec exaltation. Il culmine à 1 541 mètres, ce col, ce qui va me faire environ 700 mètres de dénivelé en 12 kilomètres non-stop.
On quitte alors par la D20 les schistes et les châtaigniers des Cévennes pour grimper à travers les espaces granitiques, et les rochers posés là par des mutants qui jouaient aux osselets. Le silence est total, je ne suis doublé en 12 kilomètres par aucune voiture. Ca monte sans arrêt, mais quel plaisir de grimper ainsi, sans vraie douleur, tranquillement.Le soleil se voile, il fait frais à 1 500 mètres. J’arrive au sommet, ou plutôt au col. Un randonneur avec 2 enfants en guise de sac à dos, le plus petit au-dessus du plus grand, me photographie.
Je suis un peu ému, car c’est la vraie fin de ma randonnée : il me reste 40 kilomètres de descente et de faux-plat descendant jusqu’à Mende, en repassant au Bleymard (dernier pointage), à Bagnols Les Bains et au col de la Tourette, que j’aurai finalement franchi 3 fois en une semaine. Je m’arrête tout de même une minute à la station de ski du Mont Lozère, où les indiens ont débarqué.
Au Pont de Montvert, j’ai pu me rendre compte que de nombreux messages professionnels m’attendaient. Météo France n’est pas favorable non plus pour les 2 jours à venir. Georges me manque (Georges c’est mon chat). Bien que ma fiancée soit encore loin de chez nous, je prends donc ma décision : je rentre en train, je suis un peu déçu, mais le travail et la raison m’y poussent.
Arrivé à Mende, je prends donc un billet de train pour Lyon (TER pour pouvoir y caser mon vélo) pour le lendemain, une chambre d’hôtel et une douche. Puis j’appelle Pierre Lusson, mon contact au club de Mende organisateur de la randonnée permanente. Il est chez lui, et nous décidons de nous retrouver devant la cathédrale, aux pieds de la statue d’Urbain V. La cathédrale est en cours de nettoyage, je vous mets donc une photo Internet ; le petit bonhomme verdâtre à droite, c’est Urbain V. C’est quand même un pape, il convient d’être respectueux. Il a fait du bien à la ville de Mende. Pierre Lusson est aussi sympathique qu’il a été serviable et disponible quand j’ai décidé à la dernière minute de me lancer dans l’aventure. Autour d’un Perrier menthe il me raconte l’origine de la randonnée, comment elle a été pensée, puis effectuée, puis proposée en randonnée permanente. Il me dit sa passion de la Lozère, lui qui est originaire de la région parisienne ! Je lui raconte MA randonnée, c’est très agréable de deviser ainsi au soleil couchant, entre cyclos de bonne compagnie. Je lui promets d’envoyer un résumé et des commentaires sur le site du club FFCT de Mende et de leur faire de la publicité. Que Pierre Lusson soit encore chaleureusement remercié pour sa gentillesse et sa disponibilité.
9ème jour – mardi 18 août 2014 :
Retour en TER : Mende-Marvejols-Clermont-Lyon
distance : 23 km, dénivelée positive : 120 m.
En sortant de l’hôtel j’achète un gros roman policier, car 8 heures de train m’attendent. C’est un truc scandinave bien glauque comme je les aime, plus de 500 pages, je devrais tenir le coup. A la gare de Mende, il y a un groupe de jeunes gens sales avec chiens, qui se rendent au festival des Arts de rue d’Aurillac. Ils occupent un peu trop l’espace, les autres voyageurs et le personnel SNCF les regardent de travers. Nous avons bien 40 minutes de retard, mais le trajet vers Marvejols est si joli qu’on n’y pense guère. Et puis, j’ai le temps ! C’est vraiment un tortillard, mais l’espace pour loger mon vélo est suffisant, les fauteuils sont confortables. Marvejols est une gare étonnante. Au milieu des voies pousse un pied de tomates que le chef de gare n’a pas voulu enlever. «Mais personne ne veut manger ces tomates là» m’avoue-t-il.
Les jeunes bateleurs aux chiens font du bazar et n’ont pas de billet, ils se font éjecter du train par le contrôleur aidé du conducteur du train. Je suis ébahi de la violence de la scène, surtout celle de la jeune fille qui accompagne les jongleurs, devenue subitement hystérique et d’une vulgarité sans nom. Le train quitte la gare sous les coups de pied, les doigts d’honneur et les hurlements de la charmante personne.
Peu de temps après, le train tombe en panne, il faudra 20 minutes au conducteur pour le remettre en route, une histoire de frein de sécurité bloqué.
J’avance dans mon roman, quand je remarque subitement notre passage sur un viaduc impressionnant il semble bien que nous passons sur le viaduc de Garabit, mais le temps que je sorte mon appareil photo, nous avons traversé. Mes recherches ensuite sur Internet semblent bien confirmer que nous sommes sur la ligne Béziers-Neussargues. Diable, je n’y serai donc pas monté à vélo, mais je l’aurai franchi en TER, sur le viaduc !
Les retards s’accumulent, mais j’arrive tout de même à temps à Clermont pour prendre d’abord un sandwiche, puis le train vers Lyon Part-Dieu. Cette dernière partie du trajet, via Roanne, est pour moi moins intéressante, nous revenons en terrain connu, et ça n’en finit pas. Heureusement, un cyclotouriste allemand à sacoches est également présent. Nous discutons et comparons nos expériences, il me demande des tuyaux pour sa remontée de Lyon vers la Suisse, il rentre d’Espagne.
Nous arrivons à l’heure à Lyon, vers 19 heures. Je remonte sur le vélo pour rentrer via Décines et Meyzieu à Janneyrias. Une certaine mélancolie m’étreint, mais je suis content de retrouver ma maison intacte et mon chat Georges qui me crie son mécontentement : 8 jours sans me voir ! Il ne me paraît pas affamé, les voisins ont rempli leur office.
Maintenant il me reste à mettre mes notes au propre, à classer au fond de ma tête mes plus beaux souvenirs, et à préparer la randonnée de l’année prochaine. Car c’est décidé : je replongerai !
Au revoir, la Lozère, une semaine, c’est bien trop court pour une si belle région. A bientôt, donc, pour de nouvelles aventures…
                                                                              récit mis en ligne en mai 2015