(cliquez sur les photos illustrant ce récit pour les agrandir)
jour 1 : Branoux les Taillades (Gard) / Le Bleymard – 66 km, D+ : 1660m
A huit heures pétantes au clocher du temple, (territoire protestant oblige !) nous démarrons bras nus de Branoux (les Taillades) mais enduits d’un peu de crème solaire. Quelques kilomètres d’échauffement sur la nationale et nous nous engageons sur une «vraie» route cévenole : étroite, sinueuse, à peine goudronnée, seulement parcourue par quelques autochtones au volant de voitures datant souvent du siècle dernier.
Longue montée sur la route du col de la croix de Berthel ou «Berthol» devance «Pacal» de quelques minutes. Au fil de l’ascension, parcourue un lundi de juillet, la végétation devient de plus en plus rase. Les crêtes environnantes se couvrent de jaune, (la floraison des genets accumule cette année, un retard de deux à trois semaines) ou de violet, pas de lacune dans mes connaissances car j’affirme que c’est bien la callune (et pas la bruyère) qui peint les reliefs de sa couleur papale.
Pose photo avant une courte descente sur le Pont de Monvert, village départ d’une étape historique et cruciale : le début de la guerre des camisards. Dès l’entrée du village, à droite toute pour la direction, tout à gauche pour les vitesses car l’ascension du col de Finiels, sous un soleil quasiment à son zénith calme vite nos ardeurs. Je me crois presque bon en entendant le bruit d’un moteur qui ronfle dans mon dos sans parvenir à me doubler. Quand je vois la taille et le chargement de copeaux de la semi-remorque, ma remarque n’est plus de mise.
Quelques instants sont nécessaires pour retrouver au col, (point haut, atteint sans point de côté) sa respiration et ses esprits. Courte descente (les descentes restent toujours courtes par rapport aux montées) sur nos pneus bien gonflés afin de nous remplir les boyaux au prochain resto. Au bar restaurant bien nommé : «le refuge», on ne bave pas longtemps devant une belle bavette de bœuf servie avec une bonne platée de pâtes. Une dizaine de minutes suffisent pour rejoindre «la Remise» où l’on nous accorde la faveur de garer nos engins dans un espace fermé à clef durant la nuit.
Passage à l’office du tourisme du village du Bleymard, l’hôtesse blêmit quand je lui demande si beaucoup de monde vient se renseigner en ce début de saison estivale. (très peu de touristes pour l’instant)
En conclusion de cette journée, la phrase du jour de mon seul compagnon de selle :
Moi : «Beaucoup de personnes randonnent avec un âne par ici.»
Lui : «Comme moi !»
jour 2 : le Bleymard / Langogne – 73km, D+ : 700m
Petit déjeuner «grand luxe» pris après une nuit de sommeil très correcte. Nous goûtons aux produits locaux : miel, jus de pomme, gâteau maison et aux produits plus classiques : pain, beurre, thé… Départ à huit heures et quart, pas besoin de trop trimer pour atteindre le col des Tribes, franchi en trombe car seulement cinquante mètres de dénivellation positive sont à franchir. Nous nous laissons » «glisser» sur quelques trente kilomètres en pente douce pour arriver au barrage de Villefort, forts et ragaillardis par l’air frisquet du petit matin.
Nous restons sur nos gardes pour affronter la belle côte nous conduisant au village médiéval de la Garde Guérin, village magnifiquement restauré que je visiterai avec mes chaussures à cales, en jouant des claquettes à chacun de mes pas dans les ruelles pavées du hameau. Avec le solide entrainement accumulé cette année, je me sens dans un état naturel sur ma monture et plutôt maladroit dans mon état normal de bipède. Belle montée régulière et peu raide en direction du nord, pour franchir, pas trop tard, le col de Thort sans dépenser d’énergie à tort et à travers car parait-il parfois, le Thort tue.
En longues pédalées, nous filons à bonne allure et sans vergogne vers Langogne, lieu de notre deuxième étape. Bière pression, plat de pâtes, douche nous permettent de vaquer ensuite à nos occupations de l’après-midi : ronfler sans ronchonner pour Eric, écrire sans écrin pour moi.
«Le petit éloge de la bicyclette» (éditions : le livre de poche) que je transporte dans mon sac à dos a été écrit par Eric Fottorino qui n’est pas otorhino mais journaliste au Monde. Même s’il ne rêve plus depuis longtemps d’être un futur Hinault, Mr Fottorino parcours au moment où j’écris ces lignes son «tour de fête» à vélo, challenge énorme qui consiste à parcourir un jour avant les «pros» toutes les étapes du tour de France cycliste 2013.
jour 3 : Langogne / Le Malzieu – 90 km, D+ : 1400m
Après une nuit réparatrice au «Modest’inn» (comprendre Modestine : nom donné par Stevenson à son ânesse lors de son périple à travers les Cévennes), nous voilà reparti pour effectuer quelques milliers de tours de pédale. La traversée de la rue principale de Langogne m’interroge : deux magasins sur trois ont mis la clé sous la porte ou, au mieux, sont à vendre, quel est donc l’avenir de ce genre de petite ville lozérienne ?
Dans un premier temps, nos sacs bien arrimés sur le dos, nous longeons la fantomatique retenue d’eau de Naussac. Suspendu au-dessus de la surface du lac, un brouillard humide lui donne, ce matin, un aspect de lac écossais ou l’on s’attend à voir surgir le monstre du loch Ness.
Un grand mieux côté météo, lorsque le soleil s’installe quand nous rejoignons le village de Grandrieu où nous ouvrons de grands yeux devant la rudesse des paysages alentours. Nous effleurons la Margeride, région nord-ouest du département en nous dirigeant par le chemin des écoliers, vers le méconnu col de Barte (1 400m). L’ascension, à travers les genets encore en fleurs, par une route étroite, sinueuse et déserte nous ramène à notre condition d’être minuscule au milieu d’une nature grandiose. L’anecdote du jour se passe à ce moment là : Eric est pisté sur un bon kilomètre par deux teckels ( ?) agressifs mais heureusement au petit gabarit ! Leur patronne viendra les récupérer, après avoir sauté dans sa voiture, quelques virages plus hauts.
Superbe descente sur st Alban sur Limagnole après l’arrêt buffet devant le clocher à peigne de l’église Sainte Eulalie (ou nous n’avons pu laisser un brin de lilas). Nous croisons une voiture de l’IGN sans doute en train de faire des relevés topographiques et surtout nous échangeons quelques mots avec une autochtone sur le sujet évident pour entamer une conversation entre inconnus : la météo !
La dernière belle pente va nous mener au cœur du village de Lajo où on se la joue «touriste» en photographiant à tout va, les constructions en belles pierres de granit. Arrivée à l’étape à l’heure de la sieste et de la retransmission du tour de France dans un village du coup complètement désert : le Malzieu.
jour 4 : Le Malzieu / St Germain du Teil – 98 km, D+ : 1400m
Départ du Malzieu-ville (situé à l’intérieur des remparts par opposition au Malzieu-forain situé à l’extérieur) avec du brouillard et la fraîcheur matinale (14° C). Dans les nombreux croisements de ce début d’étape, le GPS donne des preuves d’assurance et de fiabilité. Pas de lourdeur d’estomac en passant à Saint Léger : le petit déjeuner passe bien. La première descente sur une route étroite mais sans aucun trou nous fait franchir la rivière de la Truyère, pas de quoi en faire tout un fromage.
Suite à un bon coup de c.., nous rejoignons Albaret Ste Marie puis passons sous l’autoroute A75. Nous atteignons le point le plus au nord de notre périple, notre parcours va s’infléchir vers l’ouest puis prendre franchement une direction sud. En traversant le village de Fournels, j’ai une pensée pour son homonyme écrivain, prénommé Paul, car ses ouvrages sur la bicyclette ont enchanté quelques unes de mes soirées de lecture. (Anquetil tout seul, besoin de vélo…)
A roue de velours, nous nous dirigeons doucement mais surement vers Nasbinals. Les souvenirs du marathon des Burons, couru ici, il y a quelques années, accompagnent mes coups de pédale. Après Nasbinals, la fin de l’étape reste pour moi, un enchantement. Nous traversons, dans son intégralité, le plateau de l’Aubrac. La brise fraîche, les odeurs de foin coupé, les rivières qui serpentent nonchalamment, la surface bleu sombre des lacs, les vaches qui nous regardent passer avec leurs yeux de velours et cette platitude apparemment infinie jusqu’au col de Bonnecombe : tout contribue à mon bonheur et je me sens tout à fait à ma place sur mon vélo dans ce décor idyllique à mes yeux.
On lâche les chevaux dans la dernière descente rapide pour arriver en trombe à saint Germain du Teil. Le gîte rustique qui fait penser à un refuge de haute montagne, l’accueil chaleureux de la propriétaire, le plaisir d’être à l’étape, la promesse d’un bon repas : forcément cette fin de journée va être des plus agréables.
jour 5 : St Germain du Teil / Meyrueis – 73 km, D+ : 1050m
Excellent dîner pris, hier au soir, sur la terrasse fleurie de la propriétaire du gîte. Cuisine maison, plat consistant, produits du terroir, une côte de porc bien épaisse servie avec son jus savoureux et des légumes du jardin… J’en salive encore en écrivant ces quelques mots !
Départ ce matin, après les légers préparatifs, qui, au fil des jours, deviennent une simple habitude (remplir les gourdes, faire le sac à dos, remettre les compteurs à zéro…).
Descente rapide d’une dizaine de minutes puis nous longeons l’autoroute sur quelques kilomètres avant d’entamer une première côte sur une route large mais déserte. Je replonge instantanément dans l’effort mesuré et le rythme à adopter.
Nous roulons désormais, comme deux héros de légende sur le bien nommé causse de Sauveterre, agréable car assez ombragé, un léger vent frais venant même de temps à autre, nous caresser les mollets.
Deux heures plus tard, nous voici au bord d’un précipice de quelques cinq cents mètres. Nous découvrons au détour d’un virage, l’immense gorge creusée par la rivière. Les Américains ont leur Colorado, les Lozériens ont leur Tarn ! La descente en lacets serrés sur une route à quelques douze pour cent par endroit, nous fait prendre, un instant pour des coureurs pros quoiqu’eux roulent à cette vitesse (55 / 60 km/h) sur un sprint par exemple.
Pas de pain aux raisins comme vivre de course mais quelques fruits secs une fois le village des Vignes atteint. Nous continuons notre descente en pente douce en longeant le Tarn sur une douzaine de kilomètres, seul les minis bus qui emmènent ou ramènent les kayaks entravent un peu notre route. Pas de bouquet au vainqueur en traversant le village de Rosier car notre périple ne s’arrête pas là. Dans une chaleur marquée par le chant ininterrompu des cigales, il nous faut encore remonter, dans leur intégralité, les gorges de la Jonte.
La bière régionale de l’Aubrac, savourée dans un bar de Meyrueis, garde un goût de «revenons-y» auquel nous ne résistons pas. On se cale ensuite à l’ombre car vers quinze heures, le village semble s’embrasser à cause de la chaleur d’un soleil de plomb. On prend bien la chose, nous sommes arrivés à l’étape sans épate !
jour 6 : Meyrueis / Branoux – 120 km, D+ : 1950m
Premiers dans la salle du resto ce matin, (7h). Dans le village, seuls, quelques commerçants arpentent la rue principale, le village dort encore. 7 h 40 mn, c’est parti pour l’ascension du mont Aigoual. Nous longeons dans un premier temps, le touristique abîme de Bramabiau, plus haut, on suit la petite variante qui passe par le vrai joli col de Faubel (1 185 m). Durant la grimpette, nous doublons, sur une partie fraichement goudronnée, un club de jeunes skieurs de fond qui poussent sur leur longs batons et «glissent» sur leurs skis à roulettes avec autant d’élégance que s’ils se trouvaient dans un champ de neige poudreuse.
Belle bouffée d’émotion en arrivant au «feu» centre de météo France situé sur le sommet de l’Aigoual. Une foule de souvenirs ressurgissent me rappelant que l’homme maitrise beaucoup de choses mais jamais il ne contrôlera la fuite du temps.
Au sommet, c’est aussi la traditionnelle photo souvenir. La charmante dame d’un bel âge qui immortalise l’instant sur mon appareil découvre émerveillée que les cyclistes aujourd’hui (depuis près de 20 ans) sont munis de pédales automatiques ! Rapide descente de mille mètres de dénivellation tout de même, jusqu’au village de Vébron puis nous attaquons le dernier gros morceau du jour : le col de Solperrière. Seuls, sur un pierrier chauffé à blanc, nous gravissons à la «va comme j’te pousse» les quatre cents mètres de dénivellation, sur une route qui grimpe à une moyenne de 10 %.
Je retrouve désormais les paysages parcourus les années précédentes. Je sens que nous rentrons à la maison. Chaque village traversé désormais m’apporte son lot de souvenirs : ici, un bon resto, là un coin de baignade, là-bas une fontaine pour remplir sa gourde.
Bref passage sur la nationale106 pour rejoindre le col de Jalcreste où non pas monsieur «univers» mais monsieur «monde» (Eric Fottorino, journaliste au quotidien : Le Monde) s’est usé les mollets il y a quelques années (2001) lors de sa participation au Midi Libre avec les coureurs pros du moment.
On termine notre boucle par le col de Pendédis et le col de la maison pour rejoindre la Baraque (à moins que ce soit le contraire), vers 15 h 30, le corps fatigué mais l’esprit fier de la tâche accomplie et du travail bien fait.
récit mis en ligne le 31 octobre 2013
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